La neutralité renforce-t-elle ou affaiblit-elle la sécurité de la Suisse?
Des documents sont disponibles tant sur le site web que dans la brochure pour vous aider à vous préparer à la table ronde.
Des documents sont disponibles tant sur le site web que dans la brochure pour vous aider à vous préparer à la table ronde.
Remarque sur la procédure
Les documents sont classés par thème (ordre recommandé):
Remarque : dans la brochure, vous trouverez un espace pour vos notes à la p. 73.
- Page74
C1 Fondements de la neutralité suisse
- WEB
C2 Débats actuels sur la neutralité
C2
Débats actuels sur la neutralité
Dans quelle mesure la neutralité suisse est-elle ancrée dans la Constitution fédérale?
La neutralité est mentionnée dans les articles 173 et 185 de la Constitution fédérale:
L’Assemblée fédérale prend les mesures nécessaires pour préserver la sécurité extérieure, l’indépendance et la neutralité de la Suisse. (art. 173 lettre a Cst.)
Le Conseil fédéral prend des mesures pour préserver la sécurité extérieure, l’indépendance et la neutralité de la Suisse. (art. 185 al 1 Cst.)
Intervention parlementaire pour renforcer l’ancrage de la neutralité dans la Constitution fédérale
La neutralité est mentionnée dans la Constitution fédérale (Cst.) comme l’une des tâches de l’Assemblée fédérale (Parlement) et du Conseil fédéral. En 2005, le conseiller national Ernst Schibli (UDC) a chargé le Conseil fédéral, dans le cadre d’une motion cosignée par 50 conseillères et conseillers nationaux, d’inscrire la neutralité comme objectif d’État de la Confédération, en plus de l’article 54 Cst. sur la politique étrangère, comme suit: «La Confédération s’attache à préserver l’indépendance, la neutralité armée permanente et la prospérité de la Suisse.»
Le motionnaire a justifié ce projet de la manière suivante:
La neutralité est très bien ancrée dans la population suisse. Selon de nouveaux sondages, quelque 90% des Suisses et des Suissesses considèrent que la neutralité est une bonne chose et en sont même fiers. Il n’empêche que, ces dernières années, le droit et la politique de la neutralité n’ont cessé d’être fragilisés, relativisés, voire sapés. Or, aujourd’hui déjà, la neutralité n’est en soi pas une marotte de quelques nostalgiques qui se singularisent, mais elle est inscrite dans notre droit constitutionnel: l’article 173 Cst. charge l’Assemblée fédérale de prendre les mesures nécessaires pour préserver l’indépendance et la neutralité de la Suisse. L’article 185 Cst. fait de même en ce qui concerne le Conseil fédéral. Comme il ne suffit apparemment pas de citer la neutralité parmi les tâches incombant aux autorités et que la neutralité n’est plus prise au sérieux, je demande qu’elle soit aussi expressément inscrite à l’article 54 Cst., [...].
Dans sa prise de position, le Conseil fédéral a proposé de rejeter la motion:
[...] La neutralité est un moyen important permettant de sauvegarder la souveraineté du pays. Reste que les rédacteurs des Constitutions de 1848, 1874 et 1999 ont sciemment évité de mentionner la neutralité dans les buts de la Confédération ou même, comme le suggère l’auteur de la motion, dans les principes de politique étrangère. Les documents de l’audition relatifs à l’élaboration de la première Constitution fédérale de 1848 eux-mêmes précisent: ‹La neutralité est un moyen au service d’une cause; elle est une règle politique paraissant actuellement comme la plus appropriée pour assurer l’indépendance de la Suisse …› [...]
La neutralité permanente a fait ses preuves comme maxime de la politique étrangère et de sécurité de la Suisse. [...]. Sachant que la neutralité est déjà mentionnée expressément à deux reprises dans la Constitution, une troisième mention à l’article 54 n’apporterait pas de valeur ajoutée.
Il convient encore de souligner que le statut d’État neutre de la Suisse n’a aucun besoin d’être garanti d’avantage car, sur le plan extérieur, il est accepté et reconnu par tous les États du monde ainsi que par l’ONU. La Suisse est considérée à l’étranger comme un État neutre crédible, parce que la neutralité est systématiquement mise en œuvre par le Conseil fédéral dans toutes les situations qui le requièrent comme, par exemple, lors du dernier conflit en Irak [2003]. [...]
La motion a été classée (sans suite) en 2009, car elle n’avait pas été traitée de manière définitive dans le délai prévu.
En 2022, un comité d’initiative a lancé l’initiative populaire fédérale «Sauvegarde de la neutralité suisse (initiative sur la neutralité)», qui vise en principe à renforcer encore les exigences de la motion d’Ernst Schibli.
L’attaque militaire russe contre l’Ukraine, 24 février 2022
L'invasion russe contre l'Ukraine a conduit le Conseil fédéral – après une première hésitation – à se rallier le 28 février 2022 aux sanctions économiques de l’UE contre l’agresseur russe. La Commission de politique extérieure du Conseil des États a alors chargé le Conseil fédéral, dans le cadre d’un postulat, de justifier sa décision dans un rapport sur la neutralité:
Le Conseil fédéral est chargé de soumettre au Parlement un rapport interdépartemental actuel sur la neutralité. Celui-ci portera notamment sur les limites en matière de droit de la neutralité (par ex. survols, livraisons d’armes, adhésion à l’OTAN ou coopération avec cette organisation) et l’utilisation prévue de la marge de manœuvre de la politique de neutralité (sanctions: imposition et exécution).
Le Conseil fédéral a réagi en publiant un rapport («Clarté et orientation de la politique de neutralité», 26.10.2022) ainsi que la prise de position suivante sur des questions concrètes (sélection):
En décidant le 28 février 2022 de reprendre les sanctions européennes contre la Russie, le Conseil fédéral a-t-il renoncé à la neutralité de la Suisse?
Non, nullement: en reprenant les sanctions de l’UE, la Suisse ne porte nullement atteinte à sa neutralité.
La neutralité au sens strict, c’est-à-dire le droit de la neutralité, est toujours respectée sans restriction par la Suisse. Elle ne favorise aucun belligérant sur le plan militaire.
Par neutralité au sens large, on entend la politique de neutralité, qui recouvre toutes les mesures que la Suisse prend pour protéger la crédibilité et l’efficacité de sa neutralité. La politique de neutralité nous octroie une grande marge de manœuvre pour pouvoir réagir aux évolutions internationales. L’agression militaire russe contre l’Ukraine constitue une violation grave des normes élémentaires du droit international, sans équivalent dans l’histoire récente de l’Europe. C’est une réalité dont le Conseil fédéral a tenu compte lorsqu’il a décidé, dans le cadre de sa marge de manœuvre politique, de reprendre les sanctions de l’UE. [...]
Doit-on fondamentalement repenser la neutralité en raison de la guerre en Ukraine?
La neutralité n’est pas une donnée rigide, mais un instrument de la politique extérieure, de la politique de sécurité et aussi de la politique économique, qu’il faut adapter en fonction du climat politique général. Par le passé également, le Conseil fédéral a régulièrement réexaminé sa conception de la neutralité et l’a adaptée, comme il l’a fait dans le rapport sur la neutralité de 1993. La guerre en Ukraine met à l’épreuve l’actuel système de sécurité international, et surtout européen.
[...]. Les décisions prises par le Conseil fédéral depuis le début du conflit en Ukraine comme par exemple la reprise des sanctions de l’Union européenne envers la Russie, sont compatibles avec la politique de neutralité de la Suisse. Cette politique laisse suffisamment de marge de manœuvre au gouvernement pour réagir aux événements que traverse le continent européen depuis le début du conflit.
Il est demandé que la Suisse collabore plus étroitement avec l’OTAN, voire y adhère. Est-ce compatible avec la neutralité?
Tous les États membres de l’OTAN sont soumis à l’obligation d’assistance. En cas d’attaque armée contre l’un d’entre eux, les autres doivent l’assister, y compris par l’emploi de la force armée. En raison de cette obligation d’assistance, une adhésion à l’OTAN n’est pas compatible avec la neutralité. Mais il est possible et souhaitable d’examiner des formes de collaboration plus étroite avec l’OTAN et leur compatibilité avec la neutralité. [...]
Comment faudrait-il redéfinir la neutralité pour pouvoir, par exemple, collaborer plus étroitement avec l’OTAN ou livrer des armes dans des zones de guerre?
Le but de la neutralité est de préserver la sécurité et l’indépendance de la Suisse. La politique de neutralité offre une certaine marge quant à la manière de concevoir la neutralité afin d’atteindre au mieux cet objectif. Le droit de la neutralité fait quant à lui partie intégrante du droit international et la Suisse ne peut pas, à elle seule, le modifier. Si la Suisse voulait à l’avenir collaborer plus étroitement avec l’OTAN ou livrer des armes à certains pays, elle devrait vérifier la marge d’appréciation dont elle dispose au regard de la neutralité sans enfreindre le droit de la neutralité ni perdre la crédibilité nécessaire pour être perçue comme un État neutre. Théoriquement, la Suisse serait aussi libre de renoncer à la neutralité. Elle l’a elle-même choisie et n’y est pas tenue en vertu du droit international. [...]
Quel est l’impact de cette décision sur les bons offices de la Suisse? La Suisse pourra-t-elle continuer à jouer son rôle de médiatrice?
L’avenir nous dira si cette décision aura un impact sur les bons offices.
Les bons offices en général et la médiation en particulier constituent un volet important de la politique étrangère de la Suisse. La Suisse restera disponible pour cela. Les bons offices ne sont pas la raison d’être de la politique étrangère suisse et ne doivent en aucun cas servir de paravent. Dans le cadre de sa politique étrangère indépendante, la Suisse défend ses intérêts et ses valeurs, tels qu’ils sont inscrits dans la Constitution fédérale. Nous défendons la paix, la démocratie, les droits de l’homme et le droit international. Des valeurs qui n’admettent aucun compromis.
Dans le cadre du conflit actuel, la Suisse ne dispose pas d’une grande marge de manœuvre. Nous sommes confrontés à l’agression militaire à couverture nationale de la Russie contre un État souverain et démocratique, à une escalade de la violence sans précédent en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Compte tenu des circonstances, il est peu probable que la Suisse puisse jouer un rôle central dans la désescalade et la résolution du conflit. Mais il va de soi que la Suisse examine si des contributions ponctuelles sont possibles dans le domaine des bons offices. La discrétion est néanmoins de mise, sans quoi ces efforts seraient d’emblée voués à l’échec.
Vision plus critique de la population suisse sur la neutralité
Avec un taux d’approbation de 89%, le peuple suisse soutient certes toujours en bloc le principe de neutralité; cependant, pour la première fois depuis plus de 20 ans, on observe un recul de ce soutien (–8 pp [points de pourcentage] par rapport à janvier 2022). Dans l’ensemble, la neutralité est perçue de manière nettement plus critique qu’au cours des années précédentes. Ainsi, seulement 58% de la population suisse demeure convaincue que la neutralité protège la Suisse des conflits internationaux, contre 69% en janvier 2022. L’implication de la Suisse dans les affaires internationales est de plus en plus perçue comme un obstacle à la neutralité. Ainsi, 39% (+10 pp) de la population voient des difficultés dans la mise en œuvre de la neutralité.
Différentes attitudes face à la neutralité
Question: «Selon vous, quelle est la meilleure façon pour la Suisse de défendre ses intérêts tout en contribuant à la sécurité dans le monde?» Le nombre indiqué de personnes (en pourcentage) a répondu soit «tout à fait d’accord», soit «plutôt d’accord» avec les possibilités de réponse suivantes:
Bleu foncé: «La Suisse devrait conserver sa neutralité.»
Rouge: «La Suisse devrait prendre parti clairement pour l’un ou l’autre camp dans des conflits politiques à l’étranger, mais rester neutre lors des conflits militaires.» (Neutralité différenciée)
Bleu clair: «La Suisse devrait prendre parti clairement pour l’un ou l’autre camp dans des conflits militaires à l’étranger.» (Abandon de facto)
Des questions concrètes:
Votre position sur la neutralité de la Suisse a-t-elle changé depuis l’attaque russe contre l’Ukraine? Si oui, dans quelle mesure?
Parmi les opinions suivantes, avec lesquelles seriez-vous d’accord / en désaccord (et dans quelle mesure)?
«La neutralité peut nuire à la sécurité du pays»
Interview de l’historien militaire suisse Bruno Lezzi dans l’hebdomadaire allemand «Die Zeit», 6.10.2022:
ZEIT: Pensez-vous que la neutralité suisse soit encore d’actualité?
Lezzi: Disons que la neutralité n’est pas vraiment une condition-cadre favorable pour notre défense si nous arrivons en tant que Suisse à la conclusion (ce que nous faisions déjà en fait dans le rapport sur la politique de sécurité de 1993) que nous ne pouvons pas nous défendre seuls.
ZEIT: La neutralité met donc en danger la sécurité du pays?
Lezzi: Je n’irais pas jusque-là, mais elle peut lui nuire. D’un autre côté, nous ne devons pas oublier: la neutralité est profondément ancrée dans la conception que la Suisse a d’elle-même. Et comme toujours dans notre pays, il faut une majorité du peuple pour modifier quelque chose d’aussi fondamental. [...]
ZEIT: [...] Début septembre, le Conseil fédéral a adopté un nouveau rapport sur la neutralité. La ministre de la Défense Viola Amherd a déclaré vouloir collaborer plus étroitement avec l’OTAN et même faire exercer ensemble le cas de défense. Cela n’a jamais été fait auparavant.
Lezzi: L’intention de coopérer plus étroitement avec d’autres pays sur le plan militaire figurait déjà dans le rapport sur la neutralité de 1993. À l’époque, l’Europe craignait les missiles iraniens et s’est rendu compte qu’on ne pouvait plus se passer des autres. Mais la Suisse a dit – et cela aussi figurait dans ce rapport – que notre impartialité ne doit pas être entravée en cas d’urgence.
ZEIT: La Suisse voulait être à moitié enceinte en matière de politique de sécurité.
Lezzi: C’est ainsi. Et cela n’a pas changé jusqu’à aujourd’hui. Le rapport sur la politique de sécurité 2021 reprend exactement la même formule vide. De ce point de vue, bien que la situation soit devenue beaucoup plus grave, peu de choses ont été faites pendant 30 ans. Tout reste indéterminé, tout est fait sous réserve d’agir différemment en cas de situation réelle. Ce n’est pas possible!
ZEIT: Pourquoi?
Lezzi: Si l’on veut coopérer dans le cadre d’un système de défense aérienne, cela comprend une telle implication dans les planifications opérationnelles réciproques que l’on ne peut pas simplement se soustraire à la coopération en cas de situation réelle. À cela s’ajoutent d’autres idées éloignées de la réalité, comme la possibilité pour la Suisse de participer à des exercices de troupes d’intervention rapide de l’OTAN.
ZEIT: Pourquoi de telles idées sont-elles irréalistes?
Lezzi: Parce que ce n’est pas compatible avec la neutralité. Ce sont des jeux d’esprit de quelques chercheurs de think tank sans expérience pratique. Les exercices de défense de l’OTAN, qui tombent sous le coup de l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord, le fameux cas d’alliance, signifient dans la situation actuelle une confrontation avec la Russie. Un pays neutre se retrouverait alors dans une situation extrêmement délicate [...].
Thèse d’«Avenir Suisse», 2022
Après que les électeurs suisses ont accepté l’arrêté fédéral sur l’acquisition de nouveaux avions de combat lors d’une votation populaire le 27 septembre 2020, le groupe de réflexion Avenir Suisse a émis une thèse sur l’efficacité accrue de cette nouvelle acquisition dans le cadre du développement de la coopération transnationale:
Thèse 2 – Air: plus de coopération transnationale pour un engagement efficace des missions de combat
[...] Il est plus plausible qu’un conflit conventionnel affecte l’Europe en tant que collectif dans le cadre d’un effort de défense commun que si la Suisse devait se défendre seule. L’utilité réelle des avions de combat en matière de défense est liée à l’ampleur de la coopération transnationale. La coopération militaire transnationale devrait être développée, par exemple via une participation aux exercices de défense collective de l’OTAN. Les investissements dans les avions de combat génèrent une plus grande utilité si la Suisse s’intègre davantage dans les structures collectives de l’OTAN, tout en restant compatible avec la neutralité. Il convient donc de clarifier les questions stratégiques et de politique de neutralité. [...]
La question de savoir si la Suisse devrait plutôt s’orienter vers l’UE ou l’OTAN en cas d’intensification de la coopération ferait partie d’un tel débat sur la neutralité. [...]
L’OTAN est et reste pour la Suisse, comme pour toute l’Europe, la principale alliance de défense collective. La Suisse participe certes déjà à des exercices de l’OTAN, mais principalement en tant qu’observatrice et non avec des contingents de troupes ou lorsque la défense collective y est exercée. Une participation aux exercices de l’OTAN avec ses propres troupes permettrait à la Suisse de s’exercer au scénario conventionnel le plus plausible, à savoir la défense collective. Le DDPS et le Conseil fédéral pourraient examiner dans quelle mesure le système de milice est suffisant pour de tels projets de coopération ou si des troupes professionnelles isolées seraient nécessaires à cet effet.
La question de la neutralité devrait être posée honnêtement sur la table: la neutralité ne trouve ses limites que lorsque la Suisse est impliquée dans des planifications militaires internationales. Tant qu’aucun engagement d’assistance (article 5 de l’OTAN) n’est pris, une telle démarche est compatible avec le droit de la neutralité.
Oliver Diggelmann sur la neutralité et la morale
Extrait d’une interview d’Oliver Diggelmann, professeur de droit international public à l’Université de Zurich, dans la NZZ, 26.11.2020:
Le fameux dicton de Frère Nicolas, ‹Ne mettez pas la barrière trop loin›, on l’entend aujourd’hui encore surtout du côté national-conservateur.
Mais l’idée d’une certaine égalité des distances est certainement largement soutenue de manière générale. Et pas seulement chez les nationaux-conservateurs. Mais le problème fondamental de nombreuses questions relatives à la neutralité est le suivant: même en gardant ses distances, on peut – au sens figuré – se retrouver dans la ligne de mire politique ou morale. Garder ses distances est plus ambivalent que nous ne voulons généralement l’admettre en Suisse. Nous avons en effet tendance à conclure que ‹neutre égale bien›.
Qu’est-ce qui est faux dans le principe de garder ses distances?
Je ne dis pas que c’est faux. Mais simplement que les choses sont plus compliquées. Se tenir à distance peut – en principe – être les deux: une contribution à la désescalade ou une complicité avec le mal. Je voudrais illustrer cela par un exemple tiré de la vie d’une famille. Supposons qu’un père et une fille se disputent constamment et que les autres membres de la famille gardent leurs distances par rapport au conflit. Ils le limitent et maintiennent ainsi la paix, du moins entre eux. Mais si le père abuse de la fille et que les autres membres de la famille regardent ailleurs pour avoir la paix, ils se rendent indirectement complices du père. Dans des situations extrêmes, la neutralité peut signifier l’approbation tacite d’un crime.
«Les États neutres ne sont pas apathiques»
Point de vue de Laurent Goetschel, professeur de sciences politiques et directeur de la Fondation suisse pour la paix Swisspeace:
Avec l’attaque russe contre l’Ukraine, la neutralité suisse a été discréditée comme étant synonyme d’apathie, d’opportunisme et de lâcheté. Pire encore, certains défenseurs de la neutralité la considèrent comme un vecteur pour justifier leur position pro-russe dans cette guerre. Beaucoup de gens ne connaissent tout simplement pas assez la neutralité. D’autres la détournent à leurs propres fins politiques. [...]
Les États neutres considèrent que la participation à des guerres n’est pas appropriée pour atteindre leurs objectifs en matière de politique étrangère et de sécurité. La neutralité n’a toutefois rien à voir avec le pacifisme: si des États neutres sont attaqués, ils peuvent se défendre.
La Suisse parle de ‹neutralité armée› et justifie ainsi ses dépenses considérables pour l’armée. La neutralité n’empêche pas non plus la participation à des mesures de sécurité collective, par exemple à des sanctions militaires des Nations Unies (ONU). [...]
Il existe toutefois des différences entre les politiques de neutralité des différents États, qui assurent la crédibilité de leur neutralité. Ils ne peuvent pas adhérer à une alliance militaire, car ils prendraient alors des engagements qui, en cas de guerre, seraient contraires à ceux de la neutralité. Pour le reste, les pays neutres sont flexibles dans l’orientation de leur politique étrangère. D’autres pays neutres comme l’Irlande ou l’Autriche sont membres de l’Union européenne et ont adhéré à l’ONU bien plus tôt que la Suisse. Les pays neutres peuvent en outre imposer des sanctions économiques aux belligérants, même si celles-ci ne proviennent pas de l’ONU. La Suisse l’a fait dans les années 1990 contre la Serbie et récemment contre la Russie. Elle doit évaluer au cas par cas la force avec laquelle elle se positionne pour atteindre ses objectifs de politique étrangère.
En contrepartie de l’abstention militaire, la neutralité favorise les prestations humanitaires et la médiation entre les parties en conflit. Les États neutres ne sont donc pas apathiques, ils s’impliquent différemment. Ils ne sont pas non plus lâches, mais font preuve de courage en s’écartant des sentiers battus, ce qu’ils doivent justifier politiquement. Tant que des guerres seront menées, bien qu’elles soient anachroniques face à des problèmes mondiaux urgents, la neutralité restera un concept utile: elle se fonde sur le droit international et donne la priorité aux moyens pacifiques pour résoudre les conflits entre États. Les neutres complètent le rôle des autres pays. La Suisse le fait en tant qu’hôte, puissance protectrice et médiateur. Les neutres sont également prédestinés à participer activement au développement de l’ordre international. L’adhésion de la Suisse au Conseil de sécurité de l’ONU, prévue pour 2023–2024, offre à cet égard une opportunité particulièrement intéressante.
Quelle est la suite?
Décidez maintenant d’une ou de plusieurs questions concrètes pour la table ronde et préparez la mise en scène.